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Dans les petits villages ou les hameaux, où réside au XIXe siècle et au début du XXe une part importante de la population, le nombre des enfants à scolariser est souvent inférieur à une vingtaine, tous âges confondus. Aussi, l'école publique fondée par les lois Guizot (1833) et Ferry (1881) ne compte-t-elle qu'une seule classe : on l'appelle école à tous les cours ou école à classe unique. L'absence d'école maternelle fait qu'on y accueille les enfants dès l'âge de 5 ans.
Vers les années 1920 (époque où nous renvoie la vieille classe reconstituée de Pouilly le Fort) et jusqu'aux années soixante, on trouve donc dans de telles classes tous les niveaux de scolarité, avec des effectifs pouvant varier de zéro à six ou sept :
Nous avons pu retracer l'évolution de notre école de Pouilly le Fort
en dépouillant les registres d'appel journalier
en notre possession. Elle fut Classe Unique jusqu'en 1936 et le redevint dans les années 80.
Organisation du travail dans une école à classe unique
On imagine que l'enseignant doit méticuleusement concevoir l'organisation des activités à offrir à tout ce monde de petits et grands. Outre une programmation précise des tâches et de sa présence effective devant tel ou tel groupe, il prépare matériellement sa classe, en calligraphiant aux tableaux (nombreux et répartis sur tous les murs) des devoirs à exécuter en autonomie par les plus grands, des supports de séquences pouvant être suivies par tous (morale, récitation, écriture), etc. Quand les élèves arrivent en classe, le maître y est déjà depuis plus d'une heure... (Voir un exemple d'emploi du temps)
Avantages et inconvénients de cette structure
On lui a parfois reproché le manque d'émulation dû aux faibles effectifs des sections : un unique élève de CM1 est forcément à la fois le premier et le dernier de sa classe... Lorsque les transports scolaires se sont généralisés, cet argument (alibi du redéploiement des moyens en personnel enseignant dans beaucoup de cas) a été maintes fois utilisé.
En revanche, modèle réduit de la structure sociale du village, la Classe Unique impose l'entr'aide des générations : les grands des sections CM et FE sont fréquemment mis à contribution comme répétiteurs de l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul pour les plus petits. Ce n'est pas un hasard si le génial Célestin Freinet a élaboré sa pédagogie coopérative dans une école rurale.
De plus, en l'absence de cloisons (matérielles ou institutionnelles) entre les divers niveaux d'enseignement, les notions de succès/échec, redoublement etc. sont singulièrement atténuées. Entre le grand de 13 ans qui sait à peine lire et se trouve, en ville, être le seul de son âge dans la classe des CE de sept ans, et le même, en classe unique, certes aussi cancre en lecture mais ayant autour de lui des enfants de tous âges, le degré d'humiliation est fort différent, les chances de progrès aussi. A l'opposé, le petit précoce de cinq ans apprendra à lire par contagion, par imitation, parfois même à l'insu du maître (voir Marcel Pagnol, La Gloire de mon père). "Sauter une classe" se fait tout naturellement, en douceur, de façon différentielle : tel enfant précoce en lecture peut suivre à 7 ans le niveau CM1, mais en calcul, avoir encore besoin de travailler avec ses congénères du CE1.
Enfin, le maître d'école est souvent très bien inséré dans la vie sociale du village. Secrétaire de la Mairie dans beaucoup de communes, il est un peu l'écrivain public; tout le monde un jour ou l'autre a eu besoin de ses services. Il passe l'essentiel de sa carrière dans le même poste (peut-être, les dernières années, va-t-il prendre une direction d'école importante en ville pour avoir une meilleure retraite ; il arrive que, carrière terminée, il devienne maire du pays). Il a instruit plusieurs générations, il est généralement aimé et respecté. Un tel maître est entré dans la légende à Villiers en Morvan (Côte-d'Or) : suite à l'exode de juin 1940, il vit l'effectif de sa classe passer d'une vingtaine d'élèves à plus de cinquante ; l'un des enfants réfugiés étant aveugle, cet instituteur apprit le langage Braille pour pouvoir lui enseigner les règles de l'écrit. Cela ne l'empêchait pas de vivre pleinement comme les autres Morvandiaux du pays : quand dans le village on criait "Au cochon !", chacun posait ses outils (en l'occurrence la craie) pour prendre son fusil et partir à la battue au sanglier.
Mixité, gémination, poste double
Avant la généralisation de la mixité, quand la population d'âge scolaire est suffisante, la commune ou le hameau compte deux classes uniques : l'une de filles, l'autre de garçons, bien séparées pour l'étude comme pour les récréations. La commune étant tenue de fournir un logement aux instituteurs, on préfère le plus souvent que le maître (des garçons) et la maîtresse (des filles) soient mari et femme : un seul logement est alors nécessaire. On appelle cela un poste double.
Pour alléger un peu les contraintes d'organisation pédagogique d'une classe unique, on a accepté puis encouragé la gémination de telles écoles : sans changer la structure administrative (un instituteur et une institutrice respectivement chargés d'école à classe unique), on a mis ensemble les petits garçons et filles (section enfantine-CP-CE) d'une part, les grands et grandes (CM, cours supérieur et Fin d'Etudes) d'autre part. La "petite classe" était souvent confiée à "Madame", les grands étant sous la férule de "Monsieur". Cours de récréation et toilettes restent séparés pour les deux sexes. Cette réforme ne coûte rien, puisque l'emploi administratif des enseignants reste le même.
Progressivement, on transformera ces structures en écoles à deux classes, l'un des deux enseignants devenant Directeur d'école (légère amélioration de traitement), en même temps qu'on instaurera la mixité dans les écoles urbaines à classes plus nombreuses. Cela prendra beaucoup de temps : la mixité des écoles ne fut achevée en Seine et Marne que dans les années 1970.
Et aujourd'hui ?
Depuis les années cinquante, on a fermé nombre d'écoles rurales et regroupé à tout va, le plus souvent pour économiser des postes d'enseignant, en rationalisant cette politique par des arguments pédagogiques (un niveau par classe, c'est mieux pour l'enfant). Il a fallu des conditions géographiques extrêmes (transports scolaires trop dangereux ou trop coûteux) pour justifier le maintien d'une école comptant moins de 12 élèves. Auprès des Ecoles Normales départementales, une école d'application à classe unique a généralement été maintenue, les institutrices et instituteurs débutants pouvant se trouver chargés d'un tel emploi, le temps d'acquérir l'ancienneté permettant de prétendre à un poste moins isolé, moins contraignant quant aux préparations, et de plus mieux rémunéré (en ce temps-là, des "indemnités de résidence" plus élevées en ville qu'à la campagne complétaient le traitement de base).
Les quelques écoles à classe unique qui subsistent sont maintenant plus demandées : éveiller l'intelligence et la sensibilité d'enfants que l'on suit de 4 à 12 ans, préférer la qualité de vie de la campagne sont des attraits majeurs pour des enseignants motivés.