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Journées du Patrimoine 2010
(136 mots)
Dans ma vallée vosgienne.
A droite, à gauche, ce ne sont que sapins. La rivière court, capricieuse parfois, à travers un tapis d' herbe où paissent les bêtes; elle sort, ruisseau cascadant, des flancs du Donon, montagne jadis sacrée au sommet de laquelle on a relevé un temple de ses ruines. Cette petite rivière ne se contente pas de féconder les prés et les champs; car elle actionne, sur les pentes mêmes du Donon, des scieries auxquelles, dans la vallée, succèdent trente autres scieries. Il faut entrer dans ces modestes hangars où les troncs sombres, amenés de la montagne, se débitent, dans une seule journée, en centaines de planches claires; les pieds dans la sciure blanche, fraîche, odorante, on regarde sans se lasser le travail de l'artisan qui surveille et règle l'opération.
LOUIS MADELIN, Les Vosges
Journées du Patrimoine 2011
(154 mots)
Le brouillard se dissipe
André sentit ses yeux s'appesantir par la fatigue. Il
eut beau lutter avec fermeté contre le sommeil, malgré lui ses
paupières se fermèrent à demi.
Après un temps assez long, comme il était à moitié plongé dans une
sorte de rêve, il lui sembla, à travers ses paupières demi-closes,
apercevoir une faible clarté. Il tressaillit, et, secouant par un
dernier effort le sommeil qui l'envahissait, il ouvrit les yeux tout
grands. Le brouillard était encore autour de lui, mais il était devenu
à demi lumineux. De pâles rayons pénétraient à travers la brume : la
lune venait de se lever. Bientôt la brume elle-même devint moins
épaisse, elle se dissipa comme un mauvais rêve. A travers chacune des
branches du vieux sapin, les étoiles brillantes se montrèrent dans
toute leur splendeur, et, à peu de distance, la vieille tour qu'André
avait tant cherchée se dressa devant lui, inondée de lumière.
G.BRUNO, Le Tour de la France par deux enfants (1877)
Journées du Patrimoine 2012
(165 ou 213 mots)
Numismatique scolaire
J'ai déjà indiqué brièvement comment, avec l'aide de mes
élèves, je réunis des objets qui peuvent contribuer à créer le climat
d'une leçon. Une collection numismatique, même modeste, m'a déjà bien
rendu service.
Certaines pièces proviennent de dons. Les travaux de jardinage mettent
au jour des monnaies d'époques différentes. Que le maître en montre
quelques-unes, et les voici qui se rassemblent, avec quelques
médailles tirées des armoires, sur la table d'exposition de la classe.
Un élève m'a apporté une pièce et des tessons de poterie gallo-romaine
que son père a trouvés en creusant un puits. Mon voisin, le maçon, m'a
donné quelques pièces qu'il a recueillies en démolissant les vieilles
demeures briardes. En voici qui reposaient sur la voûte d'un four où
un paysan avait peut-être placé sa "carnichotte"; mais il en a gardé
une, le Napoléon en or qu'un geste rituel avait posé à l'extrémité de
la poutre maîtresse d'une charpente pour que la maison restât toujours
sous le signe de l'aisance.
Suite qu'on peut ne pas dicter si cela paraît long :
D'autres proviennent d'achats : lorsque je me promène sur les quais, je cherche au creux des sébiles, dans les lots à 5, 10, 15 francs, les pièces dédaignées des "mordus" mais qui font la joie du pédagogue. Ainsi, pour une modeste somme, je me distrais et je m'instruis.
Paul BAILLY, extraits de la revue L'Educateur (pédagogie Freinet), 1947
Journées du Patrimoine 2013
(196 mots)
Sur la lecture
Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si
pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre,
ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui,
semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions
comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un
ami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l’abeille ou le
rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la page
ou à changer de place, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil
diminuait de force, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et où
nous ne pensions qu’à monter finir, tout de suite après, le chapitre
interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de
percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en
nous un souvenir tellement doux que, s’il nous arrive encore aujourd’hui
de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls
calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l’espoir de
voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent
plus.
Le cache-nez (173 mots)
Savez-vous comment Charles est devenu mon ami ? Je vais vous le
dire.
Quand j’étais petit enfant comme vous, j’allais aussi à l’école, mon
carton d’écolier au dos. Un matin d’hiver j’avais bien froid. La bise
soufflait et le sol gelé craquait sous mes pas. A ce moment, je
rencontrai Charles, mon camarade d’école. Sa maman, qui le gâtait un
peu, l’avait enveloppé dans un grand cache-nez qui faisait plusieurs
fois le tour de ses épaules.
Me voyant tout tremblant et en train de tousser, Charles m’appelle.
« Viens près de moi, dit-il, le cache-nez est assez grand pour
deux ». Il déroula le cache-nez aux ramages bleus et en passa un
large bout autour de mes épaules. Nous allions tous les deux attachés
par le cou et pressés l’un contre l’autre. C’était bien amusant, et bien
chaud aussi.
Depuis ce jour, j’ai aimé le bon Charles, et tout le monde l’aime comme
moi, car il est prévenant pour tous comme il le fut pour moi-même.
Jean-Marie GUYAU (premier livre de lecture)
Journées du Patrimoine 2016 (130 mots)
LA MAISON PATERNELLE
(Entrée en 6')
Ah ! si tu la voyais maintenant, notre maison, toute passée au lait de
chaux et luisante de loin dans les figuiers avec ses murs blancs et ses
tuiles neuves? Si tu voyais la vieille treille remontée sur ses huit
piliers, la source, les fleurs, le jardinage, le réservoir sous la
fenêtre bien récuré et plein jusqu'au bord, tellement qu'on peut, en
déjeunant, toucher l'eau claire de la main ; si tu voyais ce vrai
paradis, tu laisserais là ton Paris et cette vie de grand seigneur pour
laquelle je ne t'ai pas fait, puis t'en revenant au mas où il y a du
pain et du soleil pour tout le monde, on ne t'empêcherait pas, puisque
tu n'es bon qu'à cela, de faire des livres honnêtement.